top of page
MM

A Propos de la Critique du don, études sur la circulation non marchande d’Alain Testart


A l’occasion du colloque en hommage à Alain Testart : De l’ethnologie à la préhistoire ou l’édification d’une sociologie générale, je poste cette fiche de lecture réalisé en 2008 sur

Testart A., La critique du don : Etudes dur la circulation non marchande, Paris Syllepse, 2007

Le colloque aura lieu le 24 et 25 novembre 2016 à la délégation du CNRS Paris Michel-Ange

 

La critique du don est un livre publié dans la collection « matériologiques » des éditions Syllepse. Cette collection se veut la tribune de recherches scientifiques récentes afin de « promouvoir les diverses tentatives de comprendre le monde […] par la diffusion des théories et méthodes les plus à même de renforcer les primats de la raison dans tous les champs de la connaissance ». L’auteur Alain Testart, anthropologue et directeur de recherche au CNRS, est connu pour ses travaux sur les chasseurs-cueilleurs et pour ses contributions aux réflexions archéologiques (Testart 2004, par exemple). Il anime plusieurs séminaires de recherche au Collège de France et à l’université Paris X. Il est l’auteur d’une dizaine d’ouvrages scientifiques dont celui-ci publié en 2007. Cet ouvrage s’adresse aux personnes qui ont déjà des notions en anthropologie sociale. En effet, il fait référence à des classiques de l’anthropologie et de l’ethnologie, mais son propos est suffisamment précis pour être accessible à des esthètes (auxquels j’appartiens). Ainsi le titre même de l’ouvrage fait référence à l’œuvre de Mauss et de son Essai sur le don paru en 1923, car si le neveu de Durkheim met en évidence le don comme « fait social », il ne définit pas ce concept. Aussi, A. Testart se propose de mettre fin aux confusions épistémologiques dans les discussions sur le thème du don. Il s’agit de redéfinir les notions de transfert de bien en y associant les champs sémantiques appropriés.

Dans l’épilogue l’auteur rappelle qu’il rejette aujourd’hui la définition du don que lui-même proposait dans son ouvrage Dons et Dieux paru en 1993, ouvrage corrigé et republié en 2006.

Transferts : échange, don et t3t

Le transfert est le passage d’un bien d’un individu à l’autre dans une société dans les limites de sa légitimité. Il peut être soit un don et soit un échange. D’un point de vue cinétique, ces deux actions sont identiques : il s’agit d’un déplacement. Leur différenciation fondamentale est l’exigibilité d’un contre-transfert (contrepartie). Les « échangistes » créent entre eux une dépendance de dette qui n’existe pas dans un don. La contrepartie devient juridiquement exigible, c'est-à-dire que le récipiendaire peut avoir recourt par des moyens reconnus (vendetta, justice…) à une pression quelconque sur l’endetté. Dans le cas des échanges de Vaga et yotil dans la Kula (en Nouvelle Guinée) n’est exigible en contre-transfert qu’un bien Kula. Les acteurs ne sont pas solvables sur le reste de leurs possessions. Mais, le bien peut être récupéré par la force si nécessaire quand le contrevenant est en possession de cette contrepartie. C’est en négatif de cette règle que nous apparaît la définition du don et l’auteur nous la donne très rapidement, en page 19 : « Concluons que le don est la cession d’un bien qui implique la renonciation à tout droit sur ce bien ainsi qu’à tout droit qui pourrait émaner de cette cession, en particulier celui d’exiger quoique ce soit en contrepartie ».

Pout traduire les faits en rapport sociaux, A . Testart pose la question des causes de tels transferts. Et comme pour la définition, c’est en caractérisant l’échange qu’apparaissent les attributs du don. Dans l’échange tout est réciprocité, en effet l’obligation de l’un est la cause de l’obligation de l’autre, le contre-transfert est cause du transfert. Somme-toute, « la contre partie est la cause de l’échange au sens où la remise de cette contrepartie oblige celui qui la reçoit à remettre également un bien » (p.48). Par ces recherches sur la cause, l’auteur s’est trouvé confronté à un type de transfert non répertorié jusqu’ici : ce qu’il appelle « les transferts du troisième type » ou « t3t ». Il s’agit ici de transfert dont un contre-transfert est exigible sans que le transfert ne le soit (il n’y a pas de réciprocité). Comme dans le cas de dépendance statutaire, au Moyen Age d’un serf à son seigneur. Le transfert et le contre-transfert ne peuvent être à la fois la cause et l’effet, contrairement à l’échange.

Finalement, il faut prendre en compte le fait qu’un don ou un t3t peut également être objet de réciprocité, mais non exigible. Par ailleurs, la cause « proximale » (p.159) d’un don est multiple, et c’est sur ce constat que l’on peut différencier les types de don. Typologie du don : par rapport à sa cause

  • Les premiers sont les dons dont la contrepartie est centrale, c'est-à-dire un don intéressé. Même si elle n’est pas exigible la contrepartie au don est espérée. Il s’agit par exemple de cadeau que les hommes d’affaires se font entre eux (ou politiciens/hommes d’affaires) ou le bakchich dans les systèmes de clientélisme des sociétés orientales. On peut également y associer le don de remerciement ou le don expiatoire.

  • Les seconds sont des dons sans que la considération de la contrepartie soit centrale ou don de sociabilité. Par exemple : les cadeaux de Noël qui s’effectuent dans des contextes sociaux définis, les cadeaux qui entretiennent les relations d’amitié ou encore des dons pour entretenir l’honorabilité. On pourrait classer le Potlatch des sociétés nord-américaines dans ce type.

  • Le troisième, et dernier, est le don sans contrepartie comme dans le cas de l’évergétisme à l’antiquité ou de don à une œuvre caritative.

Il est important de souligner que l’auteur conclut ce tour d’horizon des types de don sur une réflexion qui peut intéresser les archéologues (mais également certains politologues). Le don est loin d’être le cas de société « égalitaire ». En effet, le don est par excellence un domaine réservé à une classe dominante, qui par ce jeu de don peut prouver la valeur de ses membres et sa puissance. Ainsi, il lui semble important de souligner qu’une société de donataires est souvent liée à un pouvoir oligarchique, et de citer pour illustrer son propos l’Empire Romain et les jeux du cirque. Que dire alors de la valorisation des modes de financement par donation de notre université? Mais, concentrons notre propos sur des préoccupations archéologiques. Les textes qui nous ont laissé les traces de ces sociétés hiérarchisées et au pouvoir autocratique nous permettent de vérifier qu’un don est souvent le fait d’alliance de puissants, comme dans l’Egypte pharaonique. Comment peut-on déceler ce type de comportement quand les textes ne nous les décrivent pas ? Il me paraît bien délicat de répondre à cette question. Toutefois, prenons l’exemple du site prédynastique d’Adaïma. Une étude fine des dépôts funéraires de type parure (Duchesne et al. 2003) a permis de démontrer que certains éléments n’étaient pas portés par les inhumés et offerts par un tierce, puisque trop grand pour appartenir aux enfants enterrés dans la nécropole est. Il semble possible d’affirmer qu’il s’agit d’un don. En effet aucune contrepartie n’est attendue de la part du bénéficiaire (sauf peut-être de rester à sa place). Pour autant, peut-on assurer que la société villageoise d’Adaïma est une société de type « inégalitaire » et oligarchique ? Je pense que nous sommes là dans un cadre particulier, celui du funéraire, et à une échelle d’analyse, celle du village de quelques âmes, pour que la question soit pertinente. Ce type situation n’arrêteraient peut être pas nos collègues anthropologues mais, ils auraient le discours des intervenants pour développer leur thèse. Une trilogie : Don/ échange non Marchand /échange Marchand

Un échange, nous l’avons vu, est un transfert qui exige un contre-transfert. Il est marchand s’il s’inscrit dans le domaine du marché au sens économique, c'est-à-dire, le lieu de rencontre entre l’offre et la demande. Un échange non marchand par contradiction se définit par l’absence de demande ou d’offre. Ainsi, s’il on voit un objet chez un ami et que nous lui proposons de lui acheter, cet objet n’étant pas à vendre, il nous ferait une faveur en acceptant de s’en défaire. Il s’agit d’une association subtile entre don et échange difficile à démêler. En effet, la relation amicale dans cet exemple est antérieure à l’échange et il est fort probable que celui-ci ne nous oppose pas un procès pour récupérer son dû. Il s’agira probablement plus d’une sanction de type « sociale », il coupera ses relations. Sont en jeux, ici, des éléments différents mais l’intention était l’échange et non le don. Le lien social dans un échange marchand est éphémère, une fois la dette réglée les deux partis n’on plus de raison d’avoir de relation. Alors qu’un échange non marchand est associé à une relation qui dure, soit avant (amis) soit après (dot pour un mariage) l’échange. « Dans l’échange marchand, les rapports entre les hommes apparaissent finalement dépersonnalisés, dans l’échange non marchand ils apparaissent pour ainsi dire surpersonnalisés » (p.154) L’échange comme fondement de la vie sociale ?​ Les auteurs, comme Mauss ou Levis Strauss, se sont affranchis de la différence entre donner et échanger. Ils les ont utilisés comme synonymes dans leurs réflexions ne prenant en compte que le concept au sens cinétique. Il s’agit pour eux de démontrer que la communication est une base fondamentale des sociétés et peut être fondatrice. Mais en utilisant le terme « d’échange », ils oublient qu’ils font référence à un cas particulier de transfert où la contrepartie est nécessaire. Ainsi l’auteur souligne « L’échange est assurément au centre de la notre [société] » mais « l’hégémonie théorique accordée à l’échange n’est que l’effet de l’ethnocentrisme » (p. 70). Cette œuvre imposante et la volonté de l’auteur de justifier en permanence ces propos peuvent rendre la lecture difficile. Il cherche la précision afin de ne pas être contredit et souhaite que l’ouvrage puisse être une référence pour les définitions des termes d’échanges, de dons, et de transferts. Je pense qu’il atteint son but et que l’on peut amplement réutiliser ses définitions. Aussi, faudra t-il à l’avenir prendre garde à l’utilisation abusive de « l’échange » en archéologie, et considérais ce concept dit fondateur comme un paradigme contemporain. Bibliographie citée Testart, A., Deux politiques de dépôt funéraires : dépôt ou distribution, Baray L. (dir.), Archéologie des pratiques funéraires. Approches critiques. Actes de la table ronde des 7 et 9 juin 2001 (Glux-en Glenne-F.58). Glux-en-Glenne : BIBRACT, Centre archéologique européen, Bibracte ; 9, (2004) : 303-316 Duchesne, S.; Petit, C.; Baduel, N.; Midant-Reynes, B.; Crubezy, E., Le rôle des parures dans les cérémonies funéraires au Prédynastique, l’exemple des sépultures d’Adaïma, BIFAO 103 (2003) : 133-166.

104 vues0 commentaire
bottom of page